Et s’il n’y avait pas de chef·fe ?
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- Type de document: Contenu autonome de formation
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- Thème : Gouvernance
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- Mots clefs: Gouvernance
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- Maturité: Finalisé
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- Date de dernière mise à jour : 2023/03/29
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- Date de création : 2023/03/29
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- Contributeurs: Oriane Haelewyn
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- Organisme: Tiers-lieu L'Arbre
#1 Chronique d’Intelligence collective au sein des communs écologiques
Qu’est-ce que la gouvernance ?
La gouvernance est l’organisation du "faire ensemble". Elle nécessite une structuration adaptée mais aussi une culture partagée. Par structuration, on entend les processus de prise de décision – qu’on peut aussi appelée la méthode – qui sont mis en place au sein d’une organisation collective. Le terme de culture partagée désigne quant à lui le cadre de valeurs, les objectifs et les habitudes de communication implicites et explicites qui s’y développent. La culture interne à une organisation est bien entendu influencée par la culture propre aux membres qui la développe, elle-même nourrie par les différents cercles d’interactions (familles, ami·es, collègues, etc.) et les lieux d’influence (écoles, lieu de travail, espace public, etc.) de chacun·e. Ces deux piliers de la gouvernance que constitue la structuration et la culture sont unique pour chaque groupe de personnes réunies autour d’un projet commun et sont amenés à évoluer au fil de temps.
Le modèle de gouvernance « conventionnelle »
Dans la plupart des organisations collectives – associations, entreprises, etc. – la gouvernance pyramidale est la norme. Cela signifie qu’un·e individu·e se trouve à la tête de l’organisation (président·e, CEO ou autre) et a le dernier mot sur les décisions finales à impact. Il·elle désigne des responsables qui déterminent la meilleure façon de mener à bien les missions portées par les personnes inférieures sur l’échelle de décision, et ainsi de suite. L’idée ici n’est pas tant de dénoncer ce mode de fonctionnement – qui peut être efficace et viable dans bien des organisations – mais de considérer qu’il peut amener à certains écueils. Ainsi, il peut s’avérer pertinent de réfléchir des manières de « faire ensemble » autrement. L’un des écueils qui peut nourrir l’envie de sortir du modèle de la hiérarchie pyramidale est notamment le fait que la centralisation du pouvoir sur une personne puisse amener à des postures problématiques. En effet, face à l’adversité, le rôle et l’individu·e décisionnaire ont tendance à se confondre. Celui·celle-ci adoptera à son insu une posture tantôt de sauveur·se, tantôt de victime et/ou tantôt de bourreau[1]. Au final, cela peut aller jusqu’à un point de rupture où le collectif se monte contre la « tête » bouc-émissaire.
Changer les règles du jeu
Il existe de nombreux exemples qui montrent qu’il est possible de tendre vers une gouvernance partagée. Citons notamment des modèles inspirants tels que la sociocratie ou l’holocracy. Ici, nous allons nous concentrer sur l’organe décisionnaire – la « tête » d’une organisation collective – sachant qu’il ne constitue qu’une partie du système de gouvernance. Un autre modèle d’organe décisionnaire alternatif encore peu connu et répandu est celui de la Direction Collégiale Volontaire (DCV). Les principes de base de la DCV sont simples et peuvent être synthétisés en trois points :
- La DCV est ouverte à tous les membres de l’organisation qui ont envie de la rejoindre ;
- En DCV, il n’existe pas de président·es (ou CEO, directeur·ice, etc.). Le groupe DCV est collectivement décisionnaire ;
- Le « chapeau de la gouvernance » est partagé entre tous les membres de la DCV qui décident en s’appuyant sur le principe de consentement (aucune objection motivée par des arguments valables).
Rendu à ce stade de l’explication, il y a fort à parier qu’un message d’alerte émerge dans l’esprit du lecteur·ice. En effet, la DCV constitue un fonctionnement relativement « jusqu’au boutiste » en chemin vers une gouvernance partagée. Pour que celle-ci porte ses fruits, elle doit être développée progressivement et s’appuyer sur une acculturation continue des parties prenantes. Il est temps de revenir aux deux notions-piliers de la gouvernance précédemment évoquées : la structuration et la culture partagée. Pour qu’une DCV puisse constituer un modèle d’organe décisionnaire viable, les membres de l’organisation construisent un cadre de valeurs et de raisons d’être qui constitue un des éléments-clés de leur culture commune. Ce cadre doit être posé en prérequis mais aussi ancré et approprié par chacun·e[2]. Ensuite, chaque membre doit être à même de cultiver une posture personnelle orientée vers l’écoute de toutes et tous, même les personnes qui ne sont pas au sein de la DCV. La communication et la transmission transparente des informations est aussi essentielle à la réussite de la DCV et du projet global. Enfin, quelque soit la structuration choisie, il reste indispensable de toujours porter un regard critique sur sa posture, la circulation de la parole, les jeux de pouvoir, etc. car la gouvernance partagée est un chemin sans fin !
Le Direction Collégiale Volontaire de L’Arbre
Le Tiers-lieu L’Arbre à Commes (14) est un espace écologique et de cohésion sociale proposant une programmation agri-culturelle tout au long de l’année. L’association à but non lucratif a été créée en 2020. En 2023, ce sont plus de 120 personnes qui participent à la vie du tiers-lieu. Inspiré par d’autres lieux et notamment la Brass’Vie à Jupilles, le Tiers-lieu L’Arbre utilise le fonctionnement en Direction Collégiale Volontaire. Le cadre de l’association se base sur des valeurs clairement affichées – le respect du Vivant, le partage, la bienveillance – et les raisons d’être de L’Arbre sont multiples mais majoritairement concentrées sur le développement d’un lieu proposant une programmation agri-culturelle et porté par et pour les citoyen·nes afin de leur permettre de participer activement à la vie de leur territoire. La DCV a fluctuée entre 7 et 10 personnes jusqu’alors. A L’Arbre, elle endosse quatre rôles :
- suivre le budget, le modèle économique et les recherche de financement ;
- garantir le respect des valeurs de l’association ;
- coordonner les actions. Par exemple, c'est la Direction Collégiale Volontaire qui doit pouvoir dire à une branche de décaler un événement si celui-ci est prévu à une même date qu'un autre événement d'une autre branche ;
- fournir une vision d'ensemble de l’Arbre
Choisir à quel jeu jouer
Dans bien des organisations, il peut être très pertinent de changer les règles du jeu de la gouvernance pour tendre vers un fonctionnement plus partagé. La Direction Collégiale Volontaire en constitue un exemple marquant et inspirant. Cependant, avant de se lancer dans telle ou telle structuration, il est essentiel de se questionner personnellement et collectivement. Voici quelques pistes de réflexion qui pourront peut-être vous aider à préciser la gouvernance adaptée pour vous et votre contexte :
- - INTENTION – Quelles intentions et envies nous animent dans notre manières de décider comment « faire ensemble » ?
- - CULTURE PARTAGÉE – A quoi ressemble nos interactions ? Où en sommes-nous dans notre maturité de coopération ? Quels sont les jeux de pouvoir actuels ? A quelle culture commune aspirons-nous et comment pouvons-nous travailler à l’incarner réellement ?
- - STRUCTURATION – A quoi est-ce que je/nous aspirons quant aux processus prises de décisions dans notre organisation ? Comment est-ce que la taille de mon organisation est prise en compte dans la gouvernance ?
Changer les règles du jeu apparaît indispensable pour répondre aux enjeux complexes auxquels nous devons répondre au sein de nos collectifs. Mais au-delà de vouloir bousculer nos schémas de gouvernance, ces évolutions doivent avant tout être nourries par la volonté de conscientiser davantage ce qui nous influence et nous anime individuellement et collectivement. Alors, à quel jeu avons-nous envie de jouer ?