Quelques clés pour ouvrir sa conserverie

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QUELQUES CLÉS POUR OUVRIR SA CONSERVERIE

Panorama des outils au service des circuits de proximité et de l’autonomie alimentaire des territoires #3 par Julie Rouan

23 novembre 2021 · Conseils,Transformation

Vous ne supportez plus de voir jeter la moindre feuille de chou ? Confitures, chutneys, soupes, pesto, sirops, pickles, tartinades vous font frémir ? Notre diagnostic : tout va bien, vous voulez simplement ouvrir une conserverie. Nous vous proposons un petit trousseau de démarrage, alimenté notamment par les expériences de celles et ceux qui se sont déjà lancés dans la grande épopée du bocal. Nous nous concentrons dans cet article sur la transformation des fruits et légumes, d’abord parce qu’il faut en manger 5 par jour et qu’en ces temps de réchauffement, de population grandissante et de conscience du bien être animal, le 21eme siècle sera à dominante végétale ou ne sera pas ! Plus prosaïquement, parce que les opportunités, contraintes logistiques et sanitaires sont très différentes selon les filières. Si vous aviez l’intention de transformer des produits animaux également, c’est déjà un premier élément à prendre en compte. Alors, ces messieurs dames ont fait leur choix ?

4 (OU 5) BONNES RAISONS D'OUVRIR UNE CONSERVERIE

Que l’on soit agriculteur ou porteur de projet, public ou privé, il n’y a que des bonnes raisons d’ouvrir un atelier de conserverie végétale ( si vous en trouvez des mauvaises, écrivez-nous, on est curieux de nature).

1) Valoriser

Pour un.e maraicher.e, une conserverie permet d’ajouter de la valeur à un produit brut, notamment s’ils ont une durée de vie courte, comme les tomates par exemple et la plupart des légumes d’été, ou qui risquent de mal se vendre pour des raisons esthétiques.

2) Fidéliser

Avec une conserverie, on meuble les périodes creuses : on peut vendre des produits toute l’année, ça habille les étals de marché rachitiques à la fin de l’hiver et pallie les démarrages de saison difficiles. Une offre de produits diversifiée, avec des recettes originales ( et bonnes, tant qu’à faire) toute l’année élargit et fidélise la clientèle, qui aura moins de raison de se carapater au supermarché quand la bise sera venue.

3) Anti-gaspiller

On l’a mise en 3, mais elle pourrait être en 1 : avec une conserverie, on cloue le bec au gaspillage alimentaire en transformant les surplus ou légumes moches en délicieux petits bocaux, que le gentil consommateur sera bien content d’ouvrir les jours de gueule de bois, d’enfant malade ou de charrette au boulot.

Aujourd’hui, 14% des aliments produits sont gaspillés entre la récolte et la commercialisation (Ademe). En France, les pertes et gaspillages alimentaires représentaient en 2016, 10 millions de tonnes de produits par an.

Résolument “anti-gaspi” les conserveries ont l’avantage de transformer rapidement un produit frais et périssable en produit qui se gardera dans le temps.

4) Dynamiser des circuits alimentaires de proximité

En transformant ses propres récoltes ou celles de ses voisins paysan.ne.s, en fournissant les magasins du territoire ou les collectivités locales, on crée un environnement propice aux installations agricoles et aux projets de relocalisation de l’alimentation. Ainsi, les produits voyagent moins, c’est donc moins de CO2 propulsé dans l’atmosphère. Pour Manon, de la Conserverie Locale à Metz -une conserverie solidaire visant à valoriser les invendus- “Constater jour après jour l’impact de notre activité sur le territoire, ça nourrit notre motivation. Avoir une activité pratique et pouvoir mesurer son impact au niveau macro, c’est satisfaisant intellectuellement, humainement".

En bonus : faire des jeux de mots, et comme les coiffeurs, se trouver un nom d’entreprise à triple sens : CLAC, Les siphonnés du bocal, Le bocal local, le Pot-aux-roses, Consommez bocal, etc. Bref, des heures de rire ! (Plus sérieusement, nous savons que la tentation de choisir un nom drôle est forte, mais nous vous conseillons de le répéter des dizaines de fois, de vous imaginer le dire au téléphone, à des clients, des fournisseurs, des banques, en conférence, de l’écrire sur vos e-mails et papier à entête. Vous saurez vite si c’est le bon.)Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, dynamiser un territoire, valoriser une production locale, la conserverie, s’avère être un outil multifonction efficace. Toutefois, gardons à l’esprit que l’activité de conserverie demande beaucoup de travail, c’est assez physique et prenant. Il faut démarrer dans de bonnes conditions : bien anticiper son projet, s’adapter à l’environnement, trouver la bonne échelle, organiser la progressivité, et c’est ce que nous allons voir ensuite. Mais d’abord un interlude avec des chiffres.

J’AIME MA BOÎTE ! MAIS CA DEPEND DE LAQUELLE... PETIT TOPO RAPIDE SUR LA CONSERVE

Le nerf de l’agroalimentaire, c’est le temps. La durée pendant laquelle un produit pourra être vendu et consommé. Une DLC longue, ça devient une valeur refuge, un petit lingot d’or sur un compte d’épargne.

D'où un grand nombre de produits aseptisés, déshydratés, insipidisés, etc. en vue de durer : lait UHT, lait en poudre, purée en flocon, boites de conserves, fruits frais conservés dans des hangars sous atmosphère contrôlée bas en oxygène (coucou la pomme golden en papier mâché de la cantine).

Le concept de conservation longue durée a bien précédé l’industrie, puisque ça fait quelques bons siècles qu’on sèche, fermente, fromage, sale, confit, etc. L'appertisation, elle, s'est développée au 19eme siècle, mais c’est la seconde guerre mondiale qui a fait prospérer le monde de la conserve industrielle en France. Les Français, jusqu’ici méfiants vis-à-vis de l’alimentation industrielle, se sont laissés convaincre par la longue guerre de tranchées. Qu’est ce qui en effet constitue une ration facile à acheminer proprement au petit poilu sur le front plein de boue, que les familles peuvent envoyer dans les colis et que l’état major peut fournir en masse ? La petite boîte de fayot, de corned beef, de sardine. Et voilà comment elle a fait sa grande entrée dans le bal de l'alimentation courante.


Si le “en boite” évoque encore une nourriture de substitution médiocre, à réchauffer, avec des ingrédients d’origine douteuse (coucou les raviolis en boîte), le bocal artisanal ou fermier, voir gastronomique, jouit d’une réputation grandissante et peut désormais se la raconter sur les rayons des épiceries haut de gamme, porté par les business-chefs étoilés qui s’associent pour en faire leurs choux gras. Si bien que toutes productions confondues, la conserverie artisanale représente aujourd’hui 300.000 PME ou TPE en France.

Ci-dessous les chiffres de la conserve en général, industrielle et artisanale confondues, issus du site de l’Uppia (l’Union interprofessionnelle pour la promotion des industries de la conserve appertisée).

LES BONNES QUESTIONS A SE POSER

Une conserverie nécessite des investissements financiers et humains importants, il est donc essentiel de prendre le temps de la concevoir en fonction de son usage, de ses capacités propres et du territoire.

À quels besoins le projet répond : économique, social, environnemental ? Y répondre permettra de rechercher les réseaux et types de financements adaptés, de choisir le modèle de gouvernance et le modèle économique.

Quelles sont les opportunités locales en matière première et notamment les productions agricoles les plus susceptibles d’avoir des pertes ? Y a-t-il des projets de transformation présents sur le même territoire ? Analyser ces éléments vous amènera à calculer au plus juste le dimensionnement du projet, l’emplacement géographique et la gamme de produits finis à envisager.

Témoignage de Manon de la Conserverie locale, à Metz

Cette conserverie solidaire transforme à 70% à façon pour les producteurs locaux, 15% en dons en partenariat avec la banque alimentaire, et le reste en nom propre. Actuellement 70000 bocaux par an sont produits, pour 5 permanents et 3 alternants, dans un atelier de 30m² (déménagement dans 300m² prochainement).

Que vous semble t-il important de savoir avant d’ouvrir une conserverie artisanale ? Il faut savoir que c’est une activité très technique, précise, avec beaucoup de machines différentes à connaître, cela nécessite une bonne formation. c'est un travail manuel, éreintant, prenant, comme en maraîchage, on ne compte pas ses heures.

C’est une activité avec des petites marges, des petits volumes surtout au début (1,90€ le pot vendu à un agriculteur, pour un coût de 500€ chaque jour d’ouverture du labo). La rentabilité n’est pas d’emblée évidente.

La conserverie fabrique 350 pots par jour, cinq jours sur 7, avec une large gamme de 80 recettes, destinés à couvrir les produits des différents acteurs avec qui ils travaillent. Pour s'adapter aux creux saisonniers, ils ont créé plusieurs recettes autour de la tomate verte qui leur permet de prolonger d’un mois la transformation de la tomate, et se sont concentrés également sur la transformation des légumineuses, notamment en pâtes à tartiner et tartinade.

Qu’est ce qui vous motive ? l’impact sur le territoire, l’aventure humaine, le plaisir de la transformation et du produit fini en fin de journée. L'engagement se fait au fur et à mesure, on aide des maraîchers à valoriser leurs produits, à augmenter leur marge, c’est motivant.

Un conseil aux porteurs de projet ? Faire une formation et se lancer assez rapidement en faisant des tests dans des labos existants ou dans des EPL5 par exemple. ça permet de se rendre compte si c’est une activité qu’on se voit faire."

Une des recettes originales de la Conserverie Locale à Metz

Les activités conditionnent les modèles de gouvernance On peut produire sous sa marque propre, transformer à façon pour des agriculteurs, louer son atelier, produire en marque blanche pour des distributeurs ou dispenser des ateliers et formations. Diversifier ses activités peut permettre de rentabiliser la création de l’atelier et de sécuriser une partie de ses revenus.

Selon l'origine et les motivations des porteurs de projet, on trouve plusieurs modèles : ateliers de transformations collectifs en CUMA ou SCIC pour les agriculteurs qui créent ainsi un outil commun que chacun utilisera individuellement avec sa propre marque (voir projet ATOMIC) ;

Sociétés commerciales, avec une marque commerciale unique et éventuellement production en marque blanche pour produire au service d’autres producteurs ou pour la grande distribution (exemple conserverie Jacqueline et Geneviève).

Atelier de transformation en insertion, qui peut bénéficier d’aide financière de l’état ou du département, (exemple : les potagers de Marcoussis)atelier en propre d’un agriculteur qui va transformer et vendre majoritairement sa propre production (exemple : conserverie de Larnière)

Conserverie mobile, mais cela fera l’objet d’un prochain article !

Les produits finis

La gamme dépend de plusieurs facteurs : disponibilité et coût des matières premières locales, coût de préparation des recettes (matériel disponible), l'appréciation des consommateurs, la capacité journalière de votre laboratoire (taille autoclave, personnel disponible, espace de stockage), les débouchés (restauration collective, épiceries, grande distribution, vente directe).

La saisonnalité est importante également : beaucoup de produits fragiles arrivent en quantité l’été (fruits, tomates…). Certains optimisent en congelant la matière première et ainsi étaler la transformation dans le temps (investissement de 700€ pour un congélateur à 4500€ HT pour une cellule de refroidissement).

Le coût de création d’un atelier de conserverie

Le coût de création d’une conserverie varie selon le dimensionnement du projet. Il est fortement conseillé d’anticiper la progressivité de la taille de la conserverie, afin de commencer avec un modèle rapidement viable mais extensible. L’étude Reloc observe des coûts d'investissement matériel allant de 60 000 euros pour un atelier de 15m² à domicile à plus de 200 000 € pour des conserveries de 500 m².

Les coûts d’investissement de départ concernent notamment l’aménagement, les machines de découpe, lavage, épluchage et cuisson, les espaces de stockage froid et tempéré. N’oubliez pas les frais variables ! La conserverie est friande d’eau, d'énergie et de contenants lourds et volumineux.

A ce sujet, il est bon de savoir que l’usage de contenants de verre a un impact environnemental élevé, car le recyclage exige broyage et refonte à 1 600°C ! Seul le réemploi des contenants permet de réduire l’empreinte environnementale du bocal. À condition d’opter pour des bocaux épais ré-autoclavables plusieurs fois, la consigne est envisageable mais sa mise en œuvre demande une stratégie propre à anticiper.

Focus sur l’autoclave

La conserve, c’est un compromis entre la qualité nutritionnelle, les propriétés organoleptiques de l’aliment et sa durée de vie sans contamination.

Les principaux modes de stabilisation des fruits et légumes sont la stérilisation et la pasteurisation, et plus marginalement le séchage et la lacto-fermentation qui connaissent ces dernières années un regain d'intérêt (la surgélation, congélation, stabilisation sous atmosphère ne sont pas traités ici, il s’agit d'autres procédés de transformation).

La stérilisation consiste à détruire les micro-organismes en chauffant les denrées à une température supérieure à 100°C selon un barème température / temps ( basé sur une valeur stérilisatrice de 3 minutes de chauffe à 121° à cœur) ce qui nécessite l'utilisation d’un autoclave.

Dans certains cas, notamment lorsque les produits ont un ph inférieur à 4,5, on peut se passer de l’autoclave, la pasteurisation peut suffire. Elle se fait à des températures plus basses, entre 90° et 100°. C’est le cas notamment des sirops, confitures ou pickles. Les DDM seront plus courtes également. Les temps et température de chauffe auront un impact sur la qualité nutritionnelle et organoleptique de vos produits. Ce sera donc à vous de doser, d’établir des barèmes ( durée /température) en faisant des tests. Des tests de stabilité, en laboratoire ou en étuve seront nécessaires dans tous les cas.

L’autoclave, s’il est aujourd’hui majoritairement utilisé, est un appareil coûteux à l’achat et à l’entretien, qui nécessite une formation obligatoire. Il faudra donc bien estimer son potentiel de production pour en choisir un d’une taille adaptée. Si vous envisagez de ne transformer que des fruits par exemple, naturellement acides et sucrés, un autoclave ne sera pas forcément nécessaire.

Plusieurs centres de formations professionnels proposent cette formation, une des références pour la conserverie est le CFPPA de la Lozère site de FLORAC et le CTCPA.

L’ Aménagement

L’ensemble des étapes de préparation et de traitement doivent être réalisées dans un local aménagé conformément aux normes sanitaires, avec un plan de maîtrise sanitaire permettant de mettre en œuvre le système HACCP et notamment le principe de la marche en avant des produits.

Pour la mise en place d’une conserverie, nous conseillons d’investir dans des bâtiments modulaires qui permettent une mise en œuvre rapide et permettent une adaptation s’ il y a des besoins d’agrandissements.

Concernant l’achat de matériel, le choix des équipements doit se faire au regard des volumes que vous souhaitez produire; pour réduire les coûts d’achat, il est tout à fait possible de se procurer du matériel d’occasion, notamment issus de la restauration collective.

Exemple de plan pour une grande conserverie (120m²) : les produits bruts rentrent par la gauche et circulent vers la droite pour être transformés.

Pour démarrer avec de petits volumes, 30m² peuvent suffire (20m² pour l’atelier et 10m² pour le stockage et les vestiaires/wc).

Modèle économique et coût de revient Pour valider son modèle économique et calculer son prix de vente, il est important de bien calculer son coût de revient en prenant en compte :

les amortissements liés à l’achat de matériels coûteux les charges variables: coûts de la matière première, emballages (pots, couvercles, étiquettes), et les charges de fonctionnement (eau, électricité, analyses..) la main-d’œuvre pour la transformation. La perte de matière liée à l’épluchage ou à des produits vraiment trop mûrs (différence entrée / sortie), les tests de bocaux, les bocaux ratés, etc. Les équipements, les charges (logistique…) ainsi que le temps lié à la vente ne doivent pas être négligés.

Enfin, la réflexion sur le modèle économique implique de se poser la question du service proposé : vendre sous sa marque en propre demandera un poste important de communication et de développement commercial, tandis qu’un travail à façon ou une Cuma exigent de gérer très finement les plannings et d’animer un réseau.

Petit point juridique Outre les normes d’hygiène, et les conditions d’utilisation de l’autoclave, pensez aussi aux normes d’étiquetage ( se référer au site de la DGCCRF) des denrées alimentaires, qui peuvent légèrement différer selon le type d’entreprise ( il existe notamment des modérations pour les petites entreprises qui travaillent en local et vente directe). Attention, si vous voulez labelliser vos produits en bio, l’atelier doit être labellisé bio, le label du fournisseur ne suffit pas !

Vous devrez également vous déclarer à la DDPP, mais ne cherchez pas le CERFA transformation végétale, il n'existe pas ! Vous pouvez utiliser celui pour les denrées animales ou appeler votre DDPP, qui sera plus ou moins disponible selon les départements.

Vous l’aurez compris, créer une conserverie ne s’improvise pas sur un coin de table. Mais bien pensé, c’est un projet attractif, concret et fédérateur, à la croisée des producteurs et des acteurs du territoire. Alors si vous avez l’envie, nous vous encourageons à vous lancer avec prudence et enthousiasme !

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